Premier chapitre (en avant première) de Bad Liar
Prologue
Owen
Ils
baisent.
La
musique semble repousser les murs, écraser les autres sons ; elle pulse et hante le
vaste salon de la villa de Max Cadeville, fils d’un promoteur millionnaire qui bosse
en collaboration avec mon père. Il est friqué ; je le suis plus que lui. À dire vrai, ma
famille doit posséder les parents des trois quarts des gosses de riches
présents dans cette pièce. C’est le fruit de siècles de labeur entrepris par le
clan Mordret. Nous envahissons, décimons, annexons et ne rendons rien. Triste
réalité qui me voue au respect et à une influence que je ne mérite pas et que
je ne désire pas vraiment, même si parfois, cela s’avère utile.
Je
fume une clope, scrute autour de moi les corps nus plongés dans la pénombre en
train de se mouvoir sur les immenses canapés. Un couple baise sur le
tapis gris, un autre sur la grande table. J’esquisse un rictus en songeant au
film de Kubrick, Eyes Wide Shut. J’erre dans les bas-fonds sexuels
qu’engendrent la richesse, la décadence et le renom, la gerbe au creux du bide.
Quand on possède le monde, celui-ci finit par indifférer. Même le sexe. Il doit
devenir plus trash, plus crade pour que ça importe encore à ceux qui le
pratiquent. Rien ne semble compter alors, seulement le peu de plaisir qu’on
retire de corps anonymes. Il est éphémère, futile et glauque ; il aura disparu à peine
atteint. Mais tous s’y plient, se croient modernes en se prenant une bite dans
le cul ou en enfilant des chattes à la pelle. Ils pensent que ça fait cool sur
le CV, que ça confère un genre que les autres n’ont pas, une sensualité qui
n’existe que dans la tête. T’es qu’un chien en rut qui essaie de donner à tout
ça un air d’opéra, un trait épicurien, mais au bout du compte, t’es plus vide
que l’espace entre tes deux oreilles. Il n’y a rien derrière qu’un amas de
débauche.
Je
porte ma cigarette à mes lèvres, tourne la tête vers la fille qui est en train
de gémir à mes côtés, mes doigts bien enfoncés en elle. Elle est jolie, bien
roulée, un peu cupide, pas trop, juste ce qu’il faut. Elle se contorsionne et
s’empale sur ma main. Elle crie de plus en plus fort comme si j’étais en passe
de lui offrir l’orgasme de sa vie, alors que c’est elle qui bouge sur mes
doigts. Je ne cille même pas.
J’ai
la gerbe. C’est tellement insultant tout ce carnaval.
Je
déteste le contact humain, cette façon que les gens ont de pénétrer l’espace
vital des autres sans s’en soucier. Toucher, la fille, tous ces corps nus qui
se meuvent vers une jouissance futile, toute cette merde me révulse.
Je
pousse un soupir, voudrais me fracasser la tête contre un mur. M’ennuie.
Affreusement. Je n’ai qu’une envie : sortir de cette baraque. Je n’ai pas assez bu
d’alcool pour que ça reste négligeable, un vague moment perdu dans ma vie. Non
que rentrer au manoir familial et croiser ses membres obscènes et tarés
m’enchante plus que ça, mais ici, il n’y a rien de plus à en tirer que cet
instant de déchéance humaine.
La
fille jouit vite – amen ! – quand, pour en finir avec cette mascarade, j’accélère
le mouvement de ma main. J’éteins ma cigarette dans le cendrier, avale une généreuse
gorgée de whisky, puis me lève du divan en essuyant mes doigts sur mon jean. J’ai
envie de prendre une douche, longue et brûlante, de piquer la moto de Ciaràn,
de foncer dans un mur avec. Image obsédante qui fulgure dans mon cerveau avant
de s’éclipser.
La
fille cherche à me retenir en miaulant, la paume posée sur mon entrejambe, mais
je la repousse gentiment sur le canapé. Je ne suis pas d’humeur à perdre
davantage mon temps pour jouer la comédie du parfait fils Mordret. J’ai assez
donné de ma personne pour la journée.
— Hey,
Mordret, tu t’en vas déjà ? me hèle Max, en train
de se faire siphonner le sexe par une grande brune aux seins énormes.
Il
est assis sur un fauteuil club face à la baie vitrée qui s’ouvre sur son
immense piscine, les jambes écartées, les poignets en appui sur les accoudoirs.
Un roi sur son trône.
— Ouais.
Je
m’en vais remonter vers l’Olympe pour côtoyer les dieux. Jaloux, vicieux,
pathétiques.
Max
me décoche un large sourire et secoue la tête, peu dupe de mon comportement.
Max est l’un des rares à me connaître un peu mieux que les autres. Je ne laisse
pas grand monde voir sous le masque. La vitrine se doit d’être impeccable ; j’avance sur les traces
de mes frères, sans la moindre envie de le faire. Mais je suis doué, infiniment
talentueux pour dissimuler ce que je ressens, mystifier les quidams avec ma vie
idyllique et exemplaire.
Le
mensonge est devenu la pierre angulaire de mon quotidien. Je les distribue
comme d’autres vendent des billets pour un concert. Je donne à ma famille
exactement ce que ses membres attendent de moi. En coulisses, je trace ma
route, grappille quelques fragments de liberté tant bien que mal.
Je
traverse le salon entre les corps gémissants, enjambe le couple qui copule sur
le tapis et marche vers le hall d’entrée en fourrant les mains dans mes poches.
— Tu
repasses ce week-end ? me questionne Max,
avant de pousser un grognement et de saisir les cheveux de la fille dans sa
poigne.
— Oui,
sûrement. Mais petit comité. Pas d’orgie.
— OK,
comme tu veux. Tu te lasses trop vite, Mordret.
C’est
on ne peut plus vrai. Le sexe ne m’intéresse pas, pire, il me dégoûte, me fait
l’effet d’un herpès génital, mais il sert, quoi que j’en pense. Dans nos vies,
il est utile. J’ai vu mon père en user si souvent. En catimini, sans que
personne ne le devine. On me croit aveugle, sourd et muet aux événements qui se
déroulent dans le manoir familial, parce que je suis discret ou que je m’en
fous, mais je discerne presque tout ce qui s’y passe. J’ai eu un modèle
éducatif quasi inexistant, pour ne pas dire tordu. Je me suis bâti seul, en
observant les autres, surtout mes frangins. Je connais toutes leurs combines,
leurs travers, leurs mensonges. J’ai appris une chose importante en vivant
auprès d’eux : connaître les petits
secrets des autres est une source de pouvoir. Et dans notre univers, lui seul est
essentiel et assure notre survie. Le pouvoir fait danser le monde. Et que j’en aie
envie ou non, je dois moi aussi plier sous son influence pour un jour… être
libre.
Si tu étais un
minéral, une fluorine bleue
Malory
Je
n’en reviens pas ! Ce crétin de Henry
Ermont a essayé de m’embrasser dans le couloir ! Monsieur Calvitie en personne, le directeur
de la fac ! Beurk !
J’ai
envie de me passer la bouche à la javel, de prendre une douche, de changer de
fringues. Je pue son after-shave acidulé de la tête aux pieds. Bon, OK,
peut-être que j’exagère un tantinet, mais voir ses yeux globuleux se voiler de
désir en matant mon décolleté, son crâne huileux sous le nez, et l’écouter bredouiller
en même temps toute une flopée d’excuses bidons me restent sur l’estomac. J’ai
l’impression d’avoir avalé une raclette et une demi-tonne de charcuterie !
Je
n’arrête pas de frotter ma main, le pouce sur l’index, en un va-et-vient
incessant, jusqu’à sentir une petite pointe de douleur.
Je
cherche encore quelle sorte de pensées dépravées l’a convaincu que je pouvais
être intéressée par ce qu’il avait à me proposer. Un directeur de l’âge de mon
père, avec la calvitie et la bedaine en plus, car mon paternel est loin d’être
du genre à se laisser aller, du moins, je le suppose. On ne s’est pas parlé
depuis une éternité.
Sur
le trottoir, je m’arrête un instant pour reprendre mon souffle après avoir
cavalé dans la rue pour tenter de tamiser la colère et l’angoisse qui pulsent
sournoisement dans ma poitrine. Ce connard m’a clairement harcelée
sexuellement, j’ai le droit de porter plainte ? Ou bien je risque de me faire lourder de
la fac… J’ai besoin de mon boulot. J’ai besoin de mon boulot… J’aime mon boulot ! Je ne peux pas
me passer de mon boulot ! C’est la seule chose
qui me sorte vraiment de mon monde étriqué, qui me maintienne les pieds au sol…
Je
grogne, compte de un à six pour tenter de me calmer, en passant le haut portail
en fer forgé qui claquemure l’immense parc d’Almaris. Un coin de verdure que
peu de gens connaissent, entouré de vastes immeubles haussmanniens, loin des
bruits de la ville, des klaxons des voitures, alors qu’il se situe en plein
centre. Bref, un endroit que j’affectionne tout particulièrement, parce que je
peux m’installer au pied des arbres et lire un roman au soleil, à l’heure de ma
pause. Ou alors, pester tout mon saoul sur mon abruti de directeur. J’ai une
boule d’angoisse dans la gorge qui refuse de disparaître. Comment a-t-il pu
oser faire une chose pareille ? Comment… comment…
Je
m’arrête au milieu d’une allée semée de cailloux blancs et cerclés de jacarandas,
le « flamboyant bleu », des arbres
subtropicaux aux pétales variant du bleu mauve au lilas qui illuminent de
couleurs le sentier. Les fleurs se déploient dans la lumière poussiéreuse de
cette fin de journée. Un coup de vent vient balayer plusieurs d’entre elles,
les détache des branches et transporte leur parfum dans son sillage. Elles
dansent au-dessus de ma tête ; mon regard reste hypnotisé par leur course, j’en compte six
qui filent, inconscientes de ma présence. Je n’ai plus l’impression d’être en
ville, le calme en devient presque surnaturel. J’en viens même à oublier
monsieur Calvitie. La colère et l’anxiété sous-jacente qui vivotaient au fond
de moi comme une mare poisseuse s’apaisent lentement. J’ai souvent du mal à
dominer mon appréhension. Elle resurgit sans crier gare, aux moments peu
opportuns en général, puis vient écraser ma poitrine, m’empêcher de respirer.
Avec le temps, j’ai appris à mieux me maîtriser, mais cela exige de ma part de constants
efforts de contrôle. Sans ça, je pourrais tout casser, retourner un appartement
ou bien me briser les doigts sur un mur, expurger le mal ou… bref…
Je
chasse une mèche de cheveux que je coince derrière mon oreille en suivant des
yeux le tourbillon des fleurs, avance au milieu des arbres sans regarder où je
mets les pieds, et manque de me vautrer tête la première sur une jambe tendue
en travers du chemin.
— Bordel
de Dieu ! m’écrié-je en me
rattrapant au tronc d’un immense chêne aux branches tordues.
— On
ne m’appelle pas souvent comme ça, perce alors une voix railleuse juste en
dessous de moi.
Je
baisse les yeux, sens mon sang quitter mon visage, ravale mon juron suivant,
lorsque je croise un regard profond d’un bleu si pâle qu’il ressemblerait à s’y
méprendre à la couleur d’un iceberg, avec toutes ses nuances de glace. Un
sourire narquois étire les lèvres de l’homme assis à mes pieds, tandis qu’il
hausse un sourcil en avisant la rougeur de mes joues ou en devinant la lueur de
panique qui fond sur moi à l’instar d’un tsunami.
J’ai
un problème avec les gens, globalement avec tout ce qui parle, pense, juge,
jauge, critique, et me renvoie mon image. Il n’y a bien qu’à l’université,
entourée de mes étudiants, que je parviens à gérer cette angoisse envahissante,
comme si j’enfilais une nouvelle enveloppe charnelle, que je me débarrassais de
l’ancienne, trop souillée. Juste une prof en Art amusante et brillante, capable
de concentrer l’attention, seulement dans une salle de classe. À l’extérieur, en
revanche, je suis une autre personne, avec des tas de TOC, des tas de tares et une
armée de névroses. Une personne très équilibrée, pas du tout sur une corde
raide à se demander sans cesse de quel côté elle compte se péter la figure. À
dire vrai, je suis tellement tombée au cours de ma vie que je ne cherche plus à
dénombrer les bleus. Mon cœur n’est qu’un canevas de déchirures mal rapiécées.
Une
sueur glacée coulant dans mon dos, je recule comme si un piège menaçait de
m’entraîner dans les abysses, et en l’occurrence, ce type a tout l’air de
représenter un danger létal. Trop beau pour être réel ou honnête, un bel adonis
paumé au milieu du jardin d’Almaris. Un tableau de Delacroix, un portrait
romantique d’un homme dont les tourments se refléteraient dans son regard, mais
seraient masqués par l’allure avenante de son visage. Une lueur glaciale dans ses
prunelles, un air insolent sur ses lèvres charnues refermées autour d’une cigarette.
Une affiche de pub à lui tout seul, délivrant un beau mensonge, sûrement.
Les
plus secrets sont souvent les plus intéressants.
Non,
non, Malory, rien d’intéressant là-dedans. Un inconnu te regarde, ce n’est pas
une peinture à admirer, fiche le camp d’ici !
Je
n’aime pas sa façon de me considérer, elle me fait peur.
— Il
n’y a jamais personne dans ce parc…, bredouillé-je en peinant à avaler ma
salive.
J’appuie
mon pouce sur mon index pour me calmer… vraiment très fort. Puis, je prends brusquement
conscience que le reste du parc est devenu silencieux autour de moi durant
cette longue minute au cours de laquelle nous nous sommes observés l’un l’autre.
Le jardin semble immobile, comme figé dans le temps.
— À
l’évidence, ce n’est pas le cas, objecte-t-il en ramenant près de lui le sac
sur lequel j’ai manqué de mettre le pied.
Je
me gratte la gorge, recule encore d’un pas, jetant un coup d’œil à droite et à
gauche en espérant trouver le champ libre et déguerpir rapidement.
— Je…
je ne vous avais pas vu, je vous demande pardon.
Mais
tu n’avais pas à venir dans mon parc ! Je suis seule d’habitude ici, et c’est très
bien. Tu as beau être mignon, ne viens pas bouleverser mon univers,
va-t’en, s’il te plaît.
— C’est
marrant, parce que votre figure semble dire tout le contraire, me lance-t-il
sans se démonter.
— Paaaaas
du tout.
À
ma réponse hypocrite, un sourire mordant tranche ses lèvres en deux. Il lève un
sourcil, puis recrache un long nuage de fumée. Je frotte un peu plus fort,
ramenant ma paume contre ma robe pour masquer mon geste du mieux possible, afin
qu’il ne s’en aperçoive pas. J’ai appris à le cacher, ou du moins, à essayer…
— Menteuse,
se moque-t-il, avec ce petit air insolent qui doit faire tomber en pâmoison toutes
les filles.
— Vous
m’insultez ? Je ne suis pas une…
Il
se redresse subitement, me coupant la parole et m’obligeant à reculer de
plusieurs pas à une vitesse qui semble le surprendre. Oui, je suis très rapide
pour ficher le camp.
Il
est bien plus grand que moi – deux bonnes têtes –, sa mâchoire est carrée,
rehaussée d’un léger chaume de poils bruns. Je distingue quelques taches de son
le long de son nez et de ses pommettes qui le font paraître moins dur, plus
mignon sans doute. Même si son regard glaçant brise l’harmonie de ses traits « romantiques ». Un Delacroix qui
refléterait le chaos, mais un chaos maîtrisé, enfermé dans une bulle
hermétique, un cocon froidement gardé.
Mon
cœur cesse de battre, la peur coule sur moi comme de la bile dégoûtante. Je me
déteste de l’éprouver, d’être incapable d’affronter ce monde.
Il
s’approche, ignorant avec une indifférence manifeste l’angoisse qu’il doit lire
sur mon visage. Il s’arrête sous mon nez, m’imposant de lever le menton pour que
je puisse encore le fixer en face. On ne quitte jamais des yeux un prédateur
potentiel, et il en a l’apparence. Trop sexy = danger. Trop sûr de lui = panique.
Logan
m’a appris quelques mouvements d’autodéfense lorsque j’étais jeune, je pourrais
sans doute me les rappeler.
Oui ? Non…
Je
n’ai pas fait de sport depuis des lustres !
Je
me lèche les lèvres. Son regard aussi brûlant qu’un fer rouge tombe un instant
sur ma bouche, ravivant ma peau comme si celle-ci se réveillait d’un long
cauchemar, puis revient se perdre dans le mien. Ses iris sont vraiment perturbants,
trop magnétiques ou perspicaces sans doute, comme s’il était capable d’ôter
toutes mes couches de protection pour distinguer ce qui se cache derrière. Il
me rend mal à l’aise autant que curieuse, dérangée dans mon propre corps.
Un
sourire traverse ses traits. Quelque chose d’étrange, de doux et de froid à la
fois, qui paraît totalement incongru sur sa figure, comme s’il n’avait pas
l’habitude de sourire. Mes talons s’ancrent dans les cailloux comme si mon
poids s’était brusquement décuplé ; mon cœur bat la chamade, mais j’ignore si c’est
à cause de la peur qu’il éveille malgré lui, jouant avec mes névroses, ou bien
si c’est seulement son sourire qui me trouble.
— Je
ne dis toujours que la vérité, me répond-il alors d’une voix veloutée, telle
une friandise fourrée au poison.
Il
me décoche un clin d’œil malicieux face à ma mine rembrunie, puis recule enfin,
libérant mon espace vital de son parfum entêtant, légèrement sucré, un tantinet
amer – loin de celui de mon satané directeur – et de sa présence
étouffante, comme s’il était capable d’aspirer mon oxygène.
Il
tapote sur sa cigarette pour en faire tomber la cendre, la replace à la
commissure de ses lèvres qui se tissent en rictus, et se penche pour ramasser
son sac sur le sol. Un courant d’air passe sur mon visage, sèche la sueur qui
doit s’emperler à l’orée de mes cheveux, tandis que je suis du mouvement le
moindre de ses gestes.
Sentant
que je l’observe toujours, il tourne la tête par-dessus son épaule, puis me
lance d’un ton moqueur :
— Respirez,
je ne vais pas vous manger, je vous rends à votre parc.
Je
me suis habituée aux railleries face à mes petites lubies biscornues, je me
contente donc de hausser les épaules et de répondre :
— Je
vous l’ai dit, je suis désolée de vous avoir presque marché dessus,
insisté-je sur le « presque ». Le parc est à tout le
monde.
Il
laisse échapper un ricanement.
— Nan,
vous aviez raison, vous n’êtes pas une menteuse, vous ne savez vraiment pas y
faire.
Il
m’adresse une parodie de salut militaire, puis tourne les talons sans me
laisser le temps ni l’envie de riposter lorsque je l’aperçois rejoindre un
groupe d’étudiants, près de l’immense portail. Je me pétrifie de plus belle,
avant de reculer précipitamment sous le couvert des arbres. Adossé contre le
tronc du chêne que l’inconnu a quitté quelques instants plus tôt, je me laisse
tomber talons contre fesses, cherchant une respiration devenue soudain
haletante.
Il
n’y a jamais personne ici, d’habitude.
Jamais
personne.
Pourquoi
ça a changé ?
Il
n’y a jamais personne…
Jamais
personne…
Jamais…
Souffler,
respirer, inspirer, souffler…
Échanger
quelques mots avec lui, dans un endroit à l’écart, le laisser m’approcher… mon Dieu,
les seules personnes à prendre ce risque sont mes plus proches amis, Logan et
cet empaffé de Henry Ermont, même si je ne peux pas dire que je craigne ce
dernier. Il ressemble plus à un vieux papi pervers qui mérite seulement un bon
rappel à l’ordre.
L’inconnu
a fichu en l’air mon refuge au cœur de la ville. Et de ma vie merdique. Il a
brisé mon rempart. J’ai eu l’impression que son regard grattait au fond de ma
boîte crânienne pour déceler tous mes secrets.
Je
refuse qu’on les distingue, qu’on puisse me les renvoyer au visage. Je ne peux
pas les supporter. Ne pas les voir…
Alors,
pourquoi suis-je en train de me pencher pour jeter un dernier coup d’œil vers
l’entrée du parc ?
Un
frisson remonte instantanément le long de mon échine. Je me redresse aussitôt,
comme si j’avais été piquée par une vipère, arrondis les yeux, tandis que les
siens fondent dans les miens. Un rictus traverse ses lèvres quand il me
remarque. Me provoque ?
J’entends
son rire jusqu’ici, me dérobant un râle en réponse. L’un de ses amis lui donne
un coup de coude sur le bras pour capter son attention. Il se détache alors de
moi, m’abandonnant à une solitude qui me paraît soudain décalée.
Je
me blottis de nouveau contre l’arbre, le souffle court, loin de sa vue et de
son regard défiant.
Souffle,
respire, inspire, souffle…
Tu
ne le reverras jamais.
Jamais…
À
côté de moi, brillant au milieu des herbes folles, un objet métallique attire
brusquement mon regard. J’y plonge la main et en retire un briquet à clapet à
la patine ancienne, argentée, orné d’une tête de mort, elle-même surmontée d’un
chapeau haut de forme, avec un cigare entre ses dents apparentes.
Je
le manipule entre mes doigts, retrouvant lentement une respiration normale,
puis tourne de nouveau la tête vers l’entrée du parc. L’inconnu a déjà disparu.
Tu ne le reverras jamais… mais peut-être que si.
Ton écriture est tellement addictive! On en voudrait toujours plus!!! J’adore déjà les deux personnages!!!
RépondreSupprimerha c'est super, je te remercie, je suis contente que d'emblée, ça matche avec les deux perso :)
SupprimerJ’aime tellement ta plume 😳
RépondreSupprimerA quand le prochain extrait ?!?!?
mdr impatiente !
SupprimerQuelle mise en bouche , même si maintenant il faut attendre encore quelques semaines de pouvoir acheter la suite.
RépondreSupprimerJe suis en panne de lecture pourtant je me suis précipitée lorsque j'ai vu que tu publiais le premier chapitre. Ces premières lignes de lisent trop vites
J'ai hâte de lire la suite!
C'est prometteur pour la suite, c'est cool. Désolée pour ta panne de lecture. Si tu veux des idées, n'hésite pas ;)
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