Bonus spoiler : moment volé Seis & Naïs (rencontre à Hélivent)
Moment volé Naïs et Seïs (rencontre à Hélivent) :
Attention, ne lisez ce bonus que si vous avez lu l'intégralité de la saga du Porteur de Mort, auquel cas, vous risquez de vous spoiler absolument tout le roman !
Serrant Zan’Shi dans ma
main, je pouvais la sentir onduler, vibrer et se dresser en direction de
l’homme que je tenais fermement dans mes bras. Son cœur battait contre le mien
à un rythme cadencé. Ses mains se glissèrent dans mes cheveux en me rendant mon
baiser. Sa bouche avait le goût du vent, de la pierre sèche des colonnes comme
s’il y avait passé toute sa vie. Sa peau respirait la liberté et le fruit de
tout ce que j’espérais. Je m’accrochais si désespérément à ses épaules que je
manquais de suffoquer. J’avais la sensation que plus jamais je ne pourrais
m’écarter de lui sans manquer de m’arracher la chair, les muscles, les os. Ce
qui était le cas, en un sens. Je ne le pouvais pas. Jinn avait fait en sorte
que je ne le puisse jamais plus, que nos âmes soient à jamais entremêlées.
C’était là mon souhait le plus cher.
La paume de ses mains
embrassait mon crâne et me maintenait contre lui, mais ses lèvres dérivèrent le
long de ma mâchoire, avec une certaine rage, un peu d’insolence, frôlèrent ma
gorge, puis s’ancrèrent contre mon oreille d’où je sentis son souffle chaud.
Je murmurai doucement :
« Qui es-tu ? »
Il ricana. « Tu
embrasses un homme avec une telle passion sans savoir qui il est ? »
se moqua-t-il.
Il écarta son visage du mien
et m’offrit un sourire railleur. Ses yeux d’un bleu profond brillèrent d’un
éclat amusé. Pas si loin de son regard noisette d’autrefois finalement.
« Je sais que tu es
Lui, mais je ne sais pas quelle facette tu représentes », précisai-je.
Il s’adossa à la colonne qui
brasilla à son contact.
« Quelle facette
désires-tu ? »
Je comblai la distance entre
nous, m’approchant si près que je pouvais ressentir la chaleur qui émanait de son
corps, humer son parfum boisé. Je me sentais incapable de m’éloigner ne
serait-ce que d’un pas, de crainte qu’il ne s’évanouisse à nouveau. Je l’avais
attendu si longtemps.
« Tu sais qui je suis,
n’est-ce pas ? Pas seulement l’enveloppe que tu as sous les yeux, pas
seulement moi, mais celle d’autrefois… »
Mon cœur battait comme si
quelqu’un en jouait du tambour, avec trop de violence et d’empressement.
Un sourire se dessina sur
ses lèvres charnues.
« Oui, je le sais. Je te
vois. »
Mon pouls parut s’arrêter
net. Je fermai les paupières, assaillie par les émotions. Je les rouvris
lorsque sa main enferma ma joue, lorsque ses lèvres frôlèrent de nouveau les
miennes et qu’il chuchota : « On dirait que Jinn t’a accordé une
fleur, Naïs. Je suis toutes les facettes du Porteur de Mort. Plus le temps
passe, plus je me souviens… de toutes mes vies. Mais celle qui prédomine, c’est
toi. »
Je me laissai tomber contre
lui, les sanglots si longtemps retenus explosèrent et me nouèrent la gorge. Il
embrassa mes joues, mes paupières, mes lèvres.
« Chut, ne pleure pas.
Je suis là. Je suis définitivement là. »
Mais je ne pouvais plus
m’arrêter. Cela faisait plus de vingt ans que je l’attendais. Plus de vingt ans
que j’espérais le revoir, et je pensais devoir tout reconstruire, me faire
aimer à nouveau de lui. Lui qui m’aurait oubliée.
Cependant, lorsqu’il me
déshabilla, là à l’ombre de nos colonnes, avec cette colère et cette passion
qui avaient su défier le temps, lorsqu’il me fit l’amour sous la griffure de
nos vies dans la pierre, lorsqu’il me chuchota à quel point il m’aimait, à quel
point je lui avais manquée, mon univers sembla s’ancrer de nouveau dans la
réalité, s’enraciner profondément dans la terre qui m’avait vu naître des millénaires
plus tôt. Il redevenait magnifique, lumineux et heureux. J’étais de nouveau
entière. Seïs était là. Dans mes bras. Contre moi. Torii avec lui.
Lorsque le crépuscule
grignota les contours des pilastres, nous étions à demi nus, blottis l’un
contre l’autre, adossés à ma colonne. Seïs fumait une cigarette d’une herbe que
je ne connaissais pas, ce qui ne me surprit pas vraiment, tandis qu’il avait
enroulé son autre bras autour de ma nuque, me lovant contre son torse. Il
humait mes cheveux comme s’il n’avait plus respiré depuis des années.
« N’est-ce pas
étrange ? lui demandai-je.
— Quoi donc ? De nous
revoir ?
— Non, ça, c’est naturel,
mais d’être plusieurs personnes ? »
Il haussa les épaules et
aspira une bouffée de cigarette. « Je ne suis qu’une seule personne. Une
personne qui a vécu plus longtemps que le commun des mortels, mais d’une
manière différente. Je suis Torii. Je suis Seïs. J’ai même été roi dans une
autre vie et bandit dans une suivante. »
Je pouffai de rire en lui
donnant un coup de coude dans les côtes. « Roi ? Mais qui a été le
fou pour faire de toi un roi ? »
Il répondit à mon rire en
hochant la tête. « C’est une longue histoire. Je te la raconterai, même si
tu étais là, toi aussi. Tu l’es toujours.
— Je ne me souviens pas de
toutes mes existences. Seulement de la première. Ça suffit déjà bien assez.
Mais je suis curieuse de t’entendre me raconter ce que j’ai perdu. Tant que
nous sommes ensemble.
— Nous sommes liés,
Meridiane, nos chemins, nos vies, nos destins. Tu le sais bien. Tu as fait en
sorte que nous le soyons pour un temps qui ne possède pas de fin. »
Je frémis entre ses bras.
« Tu m’as appelée Meridiane ? »
Il déposa un baiser sur ma
tempe. « Désolé.
— Non, ne le sois pas. Ce
n’est pas grave.
— Tu es elle aussi, tu es
toutes ses vies, et je me mélange parfois, je confonds les moments.
— Ne t’inquiète pas. Tu as
raison, je suis elle aussi. »
Il hocha la tête et fuma un
moment en silence, jusqu’à ce que je demande : « Comment tu
t’appelles ici ?
— Ataran.
— Ça signifie quelque chose
de particulier ? Je ne parle pas très bien l’Erenin. »
Il laissa échapper un léger
rire. « Le Turbulent. »
Je ne pus m’empêcher
d’éclater de rire à mon tour. « Je vois que tu as beaucoup changé. Tu es
né ici ?
— Oui, une faveur de Jinn
sûrement.
— Sans doute ou peut-être
a-t-il plus d’humour que je ne l’aurais imaginé. Tu connais bien les colonnes
alors ?
— Je m’y suis faufilé un
certain nombre de fois, ce qui m’a valu un paquet d’ennuis. Cet endroit est
sacré pour les gens du coin.
— C’est ce que Janed m’a raconté.
— Tu l’as rencontrée ?
— Oui, en arrivant. Elle m’a
sauté dessus.
— Rien d’étonnant. Elle
t’attendait depuis longtemps.
— Vraiment ? Elle sait
qui tu es ? »
Il hocha la tête et écrasa
la cigarette sur le sol, avant de glisser le mégot dans sa poche. « Oui,
elle le sait. C’est une chasseresse d’âme. Elle peut voir la mienne comme si
elle lisait un livre. Janed a été comme une deuxième mère pour moi et Guérande
a été mon professeur ; il a fait en sorte que je sache me battre avec ce
corps.
— Un professeur. Un maître
d’armes ?
— Oui, mais un bien
différent de ceux que j’ai pu connaître dans ma vie précédente.
— Tu as donc appris l’art du
combat.
— C’est inévitable, Naïs, me
répondit-il quand il perçut mon ton désolé. Je dois savoir canaliser les dons
qui sont en moi et pouvoir me défendre le cas échéant. Tu sais ce que je
représente.
— Tu parles plus sagement
qu’autrefois.
— Je suis plus vieux, d’une
certaine manière.
— Oui, tu as des millénaires
de vie dans la tête. Ne manque-t-elle pas d’exploser ? plaisantai-je en
passant mes doigts le long de sa tempe.
— Si, parfois. De temps en
temps, j’ai l’impression de devenir dingue, quand toutes mes existences se percutent
les unes sur les autres et que je ne sais plus qui je suis. »
Il posa les yeux sur Zan’Shi
qui reposait non loin de nous.
« Elle te
manque ? »
Il haussa les épaules.
« Oui et non. J’ai envie de la brandir, mais pas de m’en servir. »
Je me laissai aller contre
lui, le nez dans son cou.
« Tu es né ici et tu as
parlé de Janed comme d’une mère. Tu as une famille ?
— Oui, une famille qui
ressemble à celle que nous avons connue tous les deux. Mon père est un homme de
lettres et ma mère s’occupe de notre maison. Nous sommes nombreux.
— Des frères et sœurs ?
— Deux frères plus vieux et
trois sœurs plus jeunes. »
Je tournai la tête dans sa
direction, mes lèvres fendues d’un sourire. « Tu as dû t’amuser.
— Oui, je me suis beaucoup
amusé. Je te les présenterai. Depuis le temps qu’ils me tannent pour que je
trouve une épouse. »
Je haussai un sourcil,
curieuse et étonnée, ce qui le fit sourire.
« Figure-toi que d’être
hanté en permanence par la même personne, dans toutes les vies qui me sont
revenues en mémoire, ne m’a pas incité à partir en quête de chair fraîche.
Naïs, j’étais trop obsédé par toi pour me soucier des autres. Il me tardait de
te revoir. »
Je nouai mes doigts aux
siens, un sourire béat sur le visage. Il secoua la tête en riant. Puis, je
levai brusquement les yeux vers lui, traversée d’une pensée étrange :
« Attends, tu es en train de sous-entendre que tu n’avais jamais…
— C’est ça. Jusqu’à il y a
moins de quelques heures, j’étais puceau… du moins, dans ce corps.
— Pourquoi ne me l’as-tu pas
dit ?
— Je ne vois vraiment pas ce
que ça aurait changé. Je t’ai déjà fait l’amour des milliers de fois.
— Oui, mais tout de même. On
aurait pu…
— Prendre notre
temps ? » Il rit tellement fort qu’il fut secoué de tremblements.
« On aura tout notre temps plus tard. J’avais seulement envie de te
sentir. Ça fait longtemps que je t’attends moi aussi. Le reste n’a aucune importance. »
Je hochai la tête et
l’embrassai, avant de reculer et de me caler de nouveau dans ses bras.
« Tu vas me présenter de
quelle façon à ta famille ? Je suppose qu’ils ne connaissent pas la
vérité.
— Non, en dehors de Janed et
de Guérande, personne ne sait qui je suis. Faire oublier notre présence me
semble une bonne idée, du moins, pour l’instant, tu ne crois pas ? »
J’acquiesçai farouchement.
« Je vais donc être une
bonne épouse, sage et disciplinée ?
— Ou une magnifique Assen,
coquine et indisciplinée. Je préfère cette option. Sois toi-même. Ne t’inquiète
pas de leurs réactions. Je suis certain que ma mère sera folle de toi.
— Ta mère… »
répétai-je, soudain perdue dans de sombres souvenirs.
Il se mordilla la lèvre
inférieure, puis dit : « Je sais que c’est étrange, mais j’occupe un
nouveau corps, une nouvelle vie. Il va falloir que tu t’y habitues.
— Je sais.
— D’ailleurs… à ce
propos… » Il se gratta le sommet du crâne, l’air brusquement inquiet.
« Comment… enfin, je ne suis pas le même qu’autrefois… est-ce que je suis
encore à ton goût ? »
Je pouffai de rire devant sa
mine soudain déconfite. Il grogna et m’embrassa pour m’obliger à cesser.
« Oui, tu es plutôt
mignon, même si ça me fait très bizarre. Les yeux bleus surtout. Torii et Seïs
avaient les yeux bruns.
— Je sais. Et le
reste ?
— Le reste est agréable à
regarder, ricanai-je.
— Cesse de te moquer. Je
voudrais bien t’y voir.
— Je ne pensais pas que tu
te souciais de ce genre d’émois, toi, le Porteur de Mort.
— Le Porteur de Mort a pris
congé. Ataran se soucie de ce que tu penses de lui.
— Rassure donc Ataran. Je le
trouve très séduisant. Il a un petit air fripon des plus plaisants. Il est
masculin et viril, avec une petite touche encore propre à la jeunesse. Tu es
rassuré ?
— Mouais. On verra si tu
fais encore la maligne devant toute la famille, quand elle te passera au
crible. »
Je posai la tête contre la
sienne. « C’est la première fois qu’on va officiellement me présenter à
une belle-famille. C’est un grand jour.
— En effet, mais fais-moi
plaisir, Naïs.
— Tout ce que tu veux.
— Passe une robe. »
Je jetai un coup d’œil sur
mes chausses beiges qui reposaient sur le sol à mes côtés.
« Je ferai un effort
vestimentaire », lui promis-je.
Il glissa sa main sur mon
ventre, sous ma chemise, et caressa ma peau qui se couvrit de chair de poule à
son contact.
« Comment va mon
fils ? me demanda-t-il brusquement.
— Rayne se porte comme un
charme. Il a trois enfants qui lui procurent beaucoup de bonheur et de cheveux
blancs. Il seconde Liem-Sat à Elisse.
— Elisse, répéta-t-il comme
si le mot pouvait encore être magique à ses yeux. Ils l’ont reconstruite ?
— En partie, oui.
— Tant mieux. Il sait que tu
es partie me rejoindre ?
— Oui, mais je ne crois pas
qu’il attende ton retour ni le mien. Il sait ce qu’il en coûterait. De savoir
que tu es vivant lui suffit. Il nous a souhaité tout le bonheur que nous
méritions d’obtenir.
— Je suis sûr qu’il est
parfait. Tu l’as bien élevé.
— Je suis assez fière de
moi, en effet. »
Il déposa un baiser sur ma
tempe. « Et mes frères ?
— Fer est grand-père. Lizzy
a été très malade il y a deux ans, mais Teichi l’a soignée. Point-de-Jour est
comme avant. Plein de vie, de joie, de rires. L’aînée de Fer leur a offert deux
beaux petits-enfants, des jumeaux. Ils ont appelé l’aîné, Antoni. »
Je vis son regard se perdre
dans le lointain, à la recherche de tous ses multiples souvenirs.
« Et pas Seïs, se
moqua-t-il, je suis vexé. »
Je ricanai. « Pas Seïs,
parce que Seïs est en vie, même s’il n’est pas auprès d’eux. Son âme était
quelque part dans ce monde, attendant seulement d’être trouvée. Quant à Teichi,
je suis à peu près convaincue qu’il m’a guettée et qu’il ne tardera pas à
apparaître.
— J’ai hâte de voir ça. Tu
crois qu’il me reconnaîtra ?
— Avec ton air insolent,
c’est assuré.
— Je n’ai pas l’air
insolent. Je suis quelqu’un de très calme et de posé.
— C’est ça. Tu peux leurrer
beaucoup de monde, mais certainement pas moi.
— Torii était quelqu’un de
très calme, m’opposa-t-il aussitôt.
— Torii était une tempête
qui se dissimulait.
— Le cœur de
l’ouragan. »
J’acquiesçai. « J’aime
bien cette image. Elle te correspond bien. »
Il hocha la tête à son tour.
« Et toi alors ?
— Moi ? Je suis ce que
j’ai toujours été.
— Une survivante.
— Une femme déraisonnable,
si éprise d’un seul homme qu’elle en a bafoué les lois de l’univers. »
Il accrocha mon regard, s’y
perdit un moment en silence, comme formé par nos souvenirs, puis il esquissa un
sourire avant de m’embrasser. « Ce chemin me plaît bien. Continue de
l’emprunter.
— Je ferai de toi un homme
éternel, Seïs.
— Je le suis déjà. Je ne te
quitterai jamais.
— Tu as intérêt. Je
t’interdis de me laisser de nouveau seule. Je te l’interdis vraiment. »
Je sentis les larmes monter
à nouveau, inexorablement, comme une marmite en ébullition. Il embrassa mes
joues, tamponna mon visage de ses lèvres, puis m’étendit de nouveau sur le sol
pour me couvrir de son corps musculeux, déjà façonné par les exercices de
combat et quelques cicatrices inhérentes.
« Je ne m’en vais plus,
Naïs. Ici, on est chez nous… Tu es chez toi. »
Cette nuit-là, lorsque nous
quittâmes tous les deux l’abri des pilastres, il laissa Zan’Shi reposer sur le
sol, au pied de ma colonne qui, inlassablement, continuait de graver ma vie. Il
était peu probable que celle-ci connaisse un jour une fin, tant que Jinn
veillait dans nos ombres…
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