Bonus (spoiler) Tes Notes Pourpres
Bonus (spoiler) Tes Notes Pourpres
— Tu ne regrettes rien ?
Voix basse, un peu rauque et cassée.
— Que devrais-je regretter au juste ?
— Hum, la liste est longue, non ?
Les flammes qui brûlent dans le foyer constellent ses cheveux de traînées d’or, tandis que, cigarette aux lèvres, il m’observe dans un mélange de fascination et de tourment, le tout intimement lié. Son expression enténébrée vient si souvent prendre possession de son visage. C’est comme une seconde peau, un second cœur, une deuxième âme par-dessus tout ce qui le constitue. Il y a le Evi d'autrefois, celui qui savait jouer du piano, dont les pensées n'étaient tournées que vers l'amour et la musique, puis le Evi d'aujourd'hui, morcelé, éclaté en mille morceaux tranchants. Par ses propres actes, par ceux des autres. Mais quel que soit celui qu'il est à présent, je l'aime toujours. Toujours plus fort. Toujours plus passionnément.
Quoi qu'il ait fait...
Etendu sur le flanc, il tend son index vers moi, sa cigarette coincée avec son majeur, et énumère lentement :
— Ton superbe appart parisien, le fric qui devait faire hurler de plaisir tous les banquiers du monde, tous ces musiciens qui bavaient d’envie devant toi…
Je souris tout en levant les yeux au ciel, jusqu’à ce qu’il ajoute plus gravement :
— Tes concerts, quand tu avançais sur le devant de la scène, ton violon entre tes mains. Quand ta musique éclatait enfin devant un auditoire médusé par ton talent. Quand tu étais cette virtuose célèbre et magnifique… Tu ne regrettes pas ? Ces moments-là où tu étais… toi.
C’est vrai, j’ai renoncé à tout pour lui, après que tout a été balayé dans les couloirs sombres et sordides du pensionnat de Fersac, là où tout avait commencé. Là où il a été détruit, fragment après fragment. Là où ça devait se terminer…
Mais il me suffit de plonger dans ses yeux noirs pour que la réponse m’apparaisse sans fard, sans détour. Implacable. Oui, il me suffit juste de ça, de cet instant.
— Tu veux dire que je devrais regretter ton sale caractère ? rétorqué-je dans un sourire. Tes sautes d’humeur ? Tes répliques cinglantes ?
Il fronce le nez avant d’éteindre son mégot dans le cendrier posé devant nous.
— Ou bien apprécier mon sens inné de la repartie ! se moque-t-il, bien que ses yeux demeurent assombris par ses tourments, par ceux qu’il se crée autour de moi, par ce qu’il imagine et qui est faux. Mon sourire charmeur ? Ma façon torride de te faire l’amour ?
Il passe son doigt sur la courbe dénudée de mes reins, alors qu’allongée sur le ventre, je continue de me perdre dans ses prunelles.
— Evi, écoute-moi bien, lui dis-je en me dressant sur un coude, il n’existe pas un seul instant où je regrette ma vie d’avant. Je l’ai traversée en ne songeant qu’à toi, avec l’espoir de te revoir un jour, avec le chagrin que ça ne soit pas le cas. J’ai joué du violon en vain pour te garder auprès de moi, et maintenant, tu es là. Tu es vraiment là. Et rien ne compte plus à mes yeux. Que toi. Que ma vie d’aujourd’hui, même si elle ne ressemble pas à celle que j’avais construite. J’ai un violon…
— Miteux, croit-il bon de préciser.
— Un violon fragile, corrigé-je aussitôt. Qui a besoin d’amour et de tendresse. Et j’adore en jouer lorsque je le peux. J’ai un petit garçon magnifique grâce à toi, qui s’épanouit…
— Avec un père bancal, tordu et trop colérique.
— Qui passe du temps avec lui, qui le chérit, qui l’aime et qui ne lui fait aucun mal ! Evi, je t’en prie… Arrête de penser que tu as brisé ma vie, c’est le contraire, tu comprends ? Je t’aime. Jamais je ne voudrais retourner en arrière.
Il se laisse tomber contre moi, son front sur mon épaule, ses bras se resserrent autour de ma taille pour me blottir plus près de lui encore, toujours plus, comme si nous pouvions fusionner ensemble.
— J’ai honte, murmure-t-il. Honte de tout ça. De ce que je t’ai imposé. Je voudrais que les choses soient différentes…
— Menteur. Tu ne regrettes pas plus que moi…
— Non, je ne regrette pas… ça. Mais toi, ce que je t’ai fait, oui.
— Tu ne m’as rien fait ! objecté-je aussitôt.
— J’ai volé ta vie !
— Tu me l’as rendue, idiot. Tu me l’as rendue, lui répété-je. Ma vie, elle est là, avec toi. Et rien d’autre ne compte. Ni les endroits dans lesquels on dort, ni les voyages, ni les…
— … les moments où on a faim ? Les moments où on ne sait pas si on aura un toit au-dessus de la tête, les moments où tu as peur, où tu as froid…
— Non, même pas ça. Je joue du violon et tu es là pour l’écouter. Tu es le seul public que j’ai toujours voulu séduire.
Son pouce passe sur ma bouche avant que ses lèvres ne viennent la couvrir. Sa langue glisse délicatement sur la mienne, sa chaleur m’envahit, alors que, paradoxalement, j’éprouve la sensation de sombrer dans un gouffre sans fin, sans fond. Evi est un abîme redoutable et attirant.
— Je t’ai toujours voulue, Souline, murmure-t-il.
— Pour ces mots-là, je ne renoncerai jamais à cette vie.
Il esquisse enfin un petit sourire.
Il y aura toujours deux Evi. Celui qui se meurt de chagrin, de culpabilité, de tourments. Et l’autre, celui qui survit coûte que coûte. Celui qui a tourné le volant au dernier moment pour que nous ne nous fracassions pas au pied de cette falaise. Celui qui assure notre quotidien, qui veille sur Jude et sur moi. Qui ne se rend pas toujours compte de tout ce qu’il fait pour ça, de tous les sacrifices, de tous les moments de bonheur aussi.
Oui, il y aura toujours deux Evi, et je les aime autant l’un que l’autre.
Une silhouette approche soudain de notre couchage rudimentaire, dans cette bicoque froide, à Arequipa, une ville perdue au Pérou au milieu des volcans. Evi remonte naturellement le drap sur nous pour dissimuler notre nudité, puis se redresse sur le flanc pour fixer son fils. L’air de famille est criant : les mêmes cheveux sombres, la même mine insolente et tout aussi mignonne, à l’exception de ses yeux dont l’éclat vert m’appartient.
Jude bâille au pied du lit, un doudou dans une main, son duvet dans l’autre.
— J’ai fait un cauchemar, dit-il. Je peux dormir avec vous ?
Les lèvres d’Evi se détachent en un sourire amusé, tandis qu’il lève un sourcil en me jetant un coup d’œil malicieux.
— Bien sûr, viens.
Il se décale aussitôt et lui laisse la place de s’étendre entre nous. Le gamin ne se laisse pas prier et tombe de tout son long sur le lit, avant de se pelotonner entre Evi et moi. Je pose aussitôt ma main sur ses cheveux, et il se rendort en quelques secondes à peine. Evi nous observe en silence, puis il murmure :
— Moi non plus, je ne regrette rien, Souline. Surtout pas ça.
Il passe la main sur la joue de notre fils, puis sur la mienne.
— Mais je pensais remettre le couvert, ajoute-t-il, taquin.
— Et tu me dis ça maintenant !
Oh la la mais quel plaisir d’avoir ce bonus 😍 moi qui me demandait tant ce qu’il avait bien pu se passer je suis hyper contente de retrouver Evi et Souline dans ce moment mignon 🥰 - merci pour cet extrait
RépondreSupprimerha ben j'ai bien fait de le mettre sur le blog alors, je l'avais posté sur instagram et il est sur la nouvelle version du livre. Je suis contente qu'il te plaise :)
SupprimerIl y’a beaucoup de nouveaux éléments dans la nouvelle version du livre ?
SupprimerNon, juste les bonus, en l'occurrence
SupprimerBeaucoup d’émotion dans cet extrait , c'est beau merci madame Arekin
RépondreSupprimermerciiiiiiiiii
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